Comment j'ai pourri le web dixit Loys Bonod

Publié par Hamelin de Guettelet le samedi 24 mars 2012

Quand la télévision n'a rien à dire, elle parle quand même de n'importe quoi. Ainsi France 2 nous montre les exploits de Loys Bonod, professeur de lettres en classe de première au lycée Chaptal à Paris qui vient de jouer les intelligents, enfin croit-il, en roulant des mécaniques de geek. À 36 ans et toutes ses dents, il se vante d'avoir pourri le web pour tromper ses élèves (cf. mon message du 11 juillet 2008), belle mentalité ! On peut avoir fait des études, on peut être enseignant, mais on peut aussi se ridiculiser en croyant ridiculiser ses propres élèves.

Loys Bonod - © France 2
La relation du maître à son élève repose sur le savoir et la relation de l'élève au maître sur la confiance. Si le savoir n'est pas discutable, la confiance ne s'apprend pas, elle se donne et sans confiance, il n'y a plus que l'autorité quand ce n'est pas l'autoritarisme ; il ne reste plus que la transmission autoritaire du savoir, faire ingurgiter de force les connaissances comme l'on gave les oies. Il n'y a pas besoin d'avoir une longue expérience de pédagogue pour comprendre que rien de bon ne peut se faire en l'absence de confiance.

Doleros, Justin Delapierre, Lucas Ciarlatano, en fait Loys Bonod, constate lors de sa première année de lycée ce que tout professeur à déjà constaté depuis longtemps ; hormis quelques rares élèves/étudiants plus doués et plus curieux que la moyenne, tous les autres travaillent à la facilité. Loys Bonod n'a-t-il jamais recopié/transcrit/reformulé/appris par cœur tel ou tel passage d'un Petit Classique Larousse ou d'un Profil Hatier ? Ses parents n'ont-ils pas acheté à crédit au mètre linéaire de bibliothèque les 20 ou 30 volumes d'une encyclopédie imprimée spécialement pour assurer sa réussite scolaire ? Aujourd'hui la masse de connaissances est passée de la bibliothèque à l'informatique. Pourquoi serait-il plus néfaste de copier Internet que de copier un manuel imprimé ? Qu'y a-t-il de surprenant que les élèves/étudiants vivent avec leur temps ?

Que fait Loys Bonod face à ce constat ?

Change-t-il sa façon d'enseigner ? Va-t-il expliquer comment faire une recherche ? Comment estimer la valeur d’une source ? Comment croiser les informations ? En résumé, comment acquérir un esprit curieux mais aussi critique ? Non, rien de tout cela, il va les piéger. En leur montrant qu'il n'est pas dupe de leurs copier/coller ? Non, cela serait trop simple, il va les ridiculiser. Il choisi un poète du XVIIe siècle, tellement peu connu, que l'on ne connait pas l'orthographe exacte de son nom, ni sa date de naissance, Charles Vion (notice de la BnF), Charles Vion sieur D'Alibray (revue littéraire), sieur Dalibray (signature de ses poèmes publiés de son vivant) ou Charles de Vion d'Alibray (pour les rares spécialistes modernes de son œuvre). Bonod va pourrir (c'est son expression) Internet de fausses informations.

Il sera obligé de s'y reprendre à deux fois pour modifier la biographie du poète sur Wikipédia : une première fois en août, il transforme le poète en tragédien, mais une demie-heure plus tard sa modification est annulée ; une deuxième fois en septembre, après quelques corrections sur divers articles pour se crédibiliser, il invente un amour malheureux à son poète pour justifier une modification de son style d'écriture. Satisfait de lui, il se fait passer pour un lycéen en recherche d'informations sur plusieurs forums pour justifier des réponses soit-disant savantes mais toujours aussi fausses. Et pour couronner le tout il crée un commentaire approximatif qu'il propose à deux sites de corrigés de commentaires et de dissertations payants (Oodoc.com et Oboulo.com).

Il peut alors passer à sa démonstration. Il déterre un sonnet pratiquement inconnu d'Internet et le propose dès la rentrée aux élèves de ses deux classes de Première en leur donnant deux semaines pour commenter ce poème à la maison et en leur indiquant la méthodologie à suivre. Il les a bien sûr invités à fournir un travail exclusivement personnel. Voilà une pédagogie particulièrement inefficace ; quels résultats attendait-il sinon celui qui a obtenu ? 51 élèves sur 65 avaient d'une façon ou d'une autres copier/coller les erreurs qu'il avait lui-même introduites en pourrissant le web. Il se donne bonne conscience en osant préciser que ses élèves ne lui en tiennent pas rigueur ; quels élèves ? Les 51 qui ont triché en ne suivant pas ses consignes ou les 14 qui ont vu leur travail réduit à zéro du fait d'une expérience douteuse ; je n'ai pas noté, dit-il, pour ne pas les punir, punir qui ? Les 14 qui ont joué le jeu n'ont pas vu leurs efforts récompensés, il me semble ; où est la justice ?

Loys Bonod ose tirer une morale de cette histoire : « Je crois que j'ai fait mon travail et que la conclusion s'impose d'elle-même : les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres. Leur servitude à l'égard d'internet va même à l'encontre de l'autonomie de pensée et de la culture personnelle que l'école est supposée leur donner. En voulant faire entrer le numérique à l'école, on oublie qu'il y est déjà entré depuis longtemps et que, sous sa forme sauvage, il creuse la tombe de l'école républicaine. [...] Une chose est sûre : cette expérience a, je pense, marqué mes élèves et me vaut aujourd'hui une belle réputation dans mon lycée. [...] je défends ce paradoxe : on ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui. » Former son esprit sans le numérique ! Voilà bien une bêtise de plus. Cela veut dire quoi sans le numérique ? Dans les livres ? Et pourquoi pas dans les palimpsestes ? Encore une ridicule opposition entre Gutenberg et McLuhan, comme si ce dernier n'avait déjà pas gagné contre le premier. Le village global, le numérique, Internet, c'est des bibliothèques entières consultables sans perdre des heures ou des journées. C'est des manuscrits qui seraient invisibles autrement. C'est des millions d’œuvres picturales que chacun possède dans son musée imaginaire. C'est une foultitude d'informations qu'aucun manuel scolaire ne peut citer. C'est le média le plus complet qu'aucune encyclopédie imprimée ne peut concurrencer. C'est cela Internet et plus encore. Oui c'est vrai, le pire côtoie le meilleur. Comment ne pas se faire tromper ? Comment trouver la bonne information ? Voilà les réponses à apporter, voilà le rôle d'un professeur qui veut faire comprendre à ses élèves comment utiliser avec profit les NTIC - nouvelles technologies de l'information et de la communication - pour qu'ils puissent correctement travailler au lycée, ensuite à l'université et enfin dans leur vie de citoyen bien informé. Voilà le noble rôle d'enseignant ; ne pas être un geek content de lui et qui trompe ses élèves. On recommande aux professeurs d'initier les élèves aux NTIC : « Je crois que j'ai fait mon travail et que la conclusion s'impose d'elle-même : les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique. » Et si c'était le professeur qui n'avait pas la maturité nécessaire pour rende profitable le numérique. Voilà un professeur qui n'a rien compris à son travail, à ses responsabilités d'enseignant, aux problèmes pédagogiques.

Parmi toutes les voix discordantes qui se sont élevées contre cette expérience ridicule, je retiens celle de Damien Babet, professeur de SES au lycée de Sarcelles : « L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires : pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit. Prenez des risques, ne vous trompez pas. Apprenez par cœur, ne plagiez jamais. Ces contradictions sont structurelles, inscrites dans les fonctions ambivalentes de l’institution. D’un côté, on impose aux élèves une culture dominante de pure autorité. De l’autre, on leur demande d’entretenir la fiction selon laquelle cette culture est librement choisie, aimée, appréciée comme supérieure par tous. [...] On demande ici aux élèves de commenter un poème. Il ne s’agit pas d’un travail créatif, on n’attend pas d’eux qu’ils réinventent la littérature. Il y a de bonnes et de mauvaises réponses. Penser par soi-même n’est pas vraiment l’enjeu ici, il s’agit de penser, certes, mais de penser comme le prof. Apprendre à bien penser, être bien pensant. » Je n'aurai pu mieux dire, voilà pourquoi je le cite.

Alors Wikipédia dans tout cela. L'article sur Charles de Vion d'Alibray est toujours aussi court, notre spécialiste Doleros/Justin Dalapierre/Loys Bonod s'est contenté de retirer deux semaines plus tard ses fausses assertions. Il ne pourra de toutes façons plus contribuer à Wikipédia pour améliorer l'article, puisque ses pseudo sont maintenant bloqués pour vandalisme - c'est ainsi que l'on nomme ce genre de modifications intentionnelles. Loys Bonod peut en plus être fier de lui puisqu'il a fait école, un autre vandale est venu réintroduire ses bêtises le 19 mai 2011. Par la faute de Loys Bonod, l'article sur Charles de Vion d'Alibray est resté fautif pendant 10 mois jusqu'à la suppression des erreurs le 21 mars 2012.

Ainsi irait mieux Wikipédia si elle n'était pas instrumentalisée.



NOTA : Loys Bonod a corrigé le 4 juillet 2012 ma copie sur son site web. Je ne regrette que deux choses, ses commentaires sont trop vagues et il a oublié de me noter, dommage ! (j'espère qu'il ne fait pas de même avec ses élèves).
Juste une précision en passant pour réponde à sa question « Vous êtes pédagogue ? » (en bon français on écrit généralement « Êtes-vous pédagogue ? ») Eh bien oui ! Monsieur Bonod, je suis comme vous un enseignant, deux différences quand même, je suis maintenant à la retraite et j’enseignais dans le supérieur et en école de commerce.